PARTENARIAT

Interlocuteurs, associés, partenaires : de ces trois termes, le premier et le second nous semblent avoir un sens plus technique, plus spécifique, plus abstrait, et donc plus précis, tandis que le dernier s’avérera plus riche, du fait même de son ambiguïté et de l’ouverture de sa définition. 

Le statut d’interlocuteur oscille pourtant entre le droit et le fait. On peut être interlocuteur dans la rue, au hasard comme dans un colloque, autour d’une table, mais aussi interlocuteur institué en fonction de droits dans un conseil d’administration ou de direction ou encore interlocuteur désigné par une autorité. En Droit, il existe aussi une variété de jugements appelée jugements interlocutoires. Dans son acception la plus générale, interlocuteur (du latin interloqui : interrompre) c’est converser ensemble, voire débattre. C’est essentiellement l’échange de parole qui fait lien, ici, sauf quand la discussion est en outre centrée, cadrée, par l’effet d’un jeu institutionnel (négociation, médiation...). 

La notion d’interlocuteur peut trouver place dans le cadre de la transmission de l’information mais devra être comprise très différemment en marquant de surcroît ses insuffisances. Elle correspondra assez bien, à la limite, en raison de la rationalité qui s’y retrouve fréquemment attachée et de son caractère plus abstrait à l’approche de l’agir communicationnel chez Habermas. 

De son côté, l’associé l’est essentiellement en fonction de droits légitimes (propriété) dans un cadre tout à la fois juridique et organisationnel. En ce sens l’associé est à la fois interlocuteur de droit et de fait. Il a droit de parole et il participe aux décisions en fonction de ses pouvoirs (nombre de parts). 

A l’origine, les partenaires (de partager, prendre sa part) étaient les membres (égalité au moins théorique et relative) d’une bande de brigands qui prenaient leur part, (leur « pied » dans la mesure ou le « pied » constituait souvent l’unité de mesure) du butin, fruit de leurs larcins, qu’ils devaient partager. En fonction d’acceptions plus modernes, il y a aussi des partenaires de jeux, sportifs notamment, des partenaires sexuels, des partenaires de travail... Des formes d’agir et de faire s’y retrouvent toujours intimement mêlées. 

L’importance de l’affectivité consciente et inconsciente s’y trouve toujours soulignée à travers le jeu des affinités et les motivations (en tout cas beaucoup plus impliquante que l’affectio societatis des juristes). Plus que dans le cas de l’interlocution ou de l’association, la dynamique propre des interactions y apparaît en filigrane. Notons, à cette occasion, que, du fait des intérêts différents et de la non-coïncidence préétablie des désirs de chacun, le syntagme « partenaires-adversaires » se vérifie presque toujours au niveau des pratiques. Ainsi, dès l’histoire de la notion, la complicité (autant pénale que libidinale et transgressive) voisine avec la « voix au chapitre » et le pouvoir de co-décision. Le mot nous semble particulièrement intéressant, au niveau de la richesse, de la complexité et de l’ambiguïté des pratiques. L’affectivité et la rationalité, avec leurs hétérogénéités respectives, peuvent s’y retrouver conjuguées. 

Si la fidélité de la transmission de l’information reste bien la « règle d’or » d’un univers logico-mathématique (entraînant ipso facto le caractère pathologique du bruit, des distorsions, des parasites et des biais), la trahison dans le processus de communication explicitement intersubjective reste la conséquence normale de l’appropriation recherchée par chacun. Elle fondera au moins la nécessité du recours à l’interprétation. Les aires respectives des associés ou des interlocuteurs restent relativement indifférentes aux définitions du sujet et de l’autre homogénéisées et réduites à leur plus petit dénominateur commun, tandis que les partenaires ne peuvent exclure celles-ci de leurs temporalités propres. Il y a toujours, ainsi, au moins en principe, quelque chose de l’ordre du politique, éventuellement démocratique, sous-entendu dans les relations entre partenaires. La légitimité du conflit dans les échanges humains en résulte.

 La circulation de l’information ne suppose pas nécessairement des partenaires, ou des associés, la communication, prenant en compte l’intersubjectivité et les relations, les requièrent tout au contraire. L’éducation, la formation, l’instruction, l’enseignement, obéissent à cette même problématique de l’altération. Nos enfants ne seront eux mêmes qu’après s’être littéralement arrachés aux désirs de leurs parents, aux projets « pour eux » ou « sur eux ». « Trahison » ou altération légitimes, sont donc les questions qui s’imposent, ici, au moins autant que la « lettre » des termes. Leur rejet au niveau des relations implique le fantasme de domination qui s’y abrite : l’ambition de maîtrise. 

Nous frôlons aussi, à cette occasion, les thèmes anthropologiques de l’impureté et de la pureté que nous analysons par ailleurs (Cf. Jacques Ardoino et René Lourau, « Le pur et l’impur » in Pratiques de formation-analyses, n° 33, PUV, Paris 1997). Les enseignants ont-ils, suffisamment, réfléchi à cet aspect des choses ? Ils affectionnent encore trop volontiers de s’entendre appeler « Maître ». Ce dernier terme risque alors de constituer une véritable malédiction pour le corps enseignant, dans la mesure où il réactive et conforte un fantasme de toute puissance, insidieusement niché au cœur des taches aveugles de la raison. Il y a bien une autre acception, dans notre langue, du mot « maîtrise, mais comme par hasard elle reste mal connue, pour ne pas dire ignorée du plus grand nombre (Cf. Jacques Ardoino, sur ces deux formes de maîtrise in « Eloge de la complexité », Esprit, n° 2 février 1982). C’est une autre histoire ! La « fabrication » contemporaine, dans le domaine de l’administration et de la gestion, notamment, du terme « partenariat », plus technique, réduit aux « rapports » (plus qu’aux « relations ») de partenaires institutionnels ou organisationnels, constituant un dispositif structuré par des procédures, laissant toujours de côté les partenaires directs (élèves, enseignants, parents, étudiants, malades, soignants, collaborateurs et subordonnés...), et leurs processus de communication, vient naturellement masquer et oblitérer cette problématique complexe.

Ces trois notions ne sont donc ni synonymes si substitutibles l’une à l’autre. Elles conservent chacune leur utilité. Il s’agit de les employer à bon escient, en fonction du cadre auquel elles se rapportent. Partenaires-adversaires. Cf. Jacques Ardoino et Jean-Pierre Moreigne, Commandement ou management, participation et contestation, Mame-Hachette, Paris 1970, Epi, Paris, 1975. Cf., également, Jacques Ardoino et André de Peretti, Penser l’hétérogène, Desclée de Brrouwer, Paris, 1998. Présente note extraite de Pratiques de formation-analyses, Revue de la formation permanente de Paris VIII, n° 40, novembre 2000, Presses universitaires de Vincennes, Paris, novembre 2000, Editorial par Jacques Ardoino, « De l’accompagnement en tant que paradigme », 

 


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